Jedi Starfighter, Knights of the Old Republic 2 : The Sith Lords, et bientôt Pirates des Caraïbes 3, autant de titres prestigieux de jeux vidéo et un point commun : Mark Griskey, compositeur de toutes ces musiques, qui signe aujourd’hui la partition très remarquée de la version interactive du MONDE DE NARNIA, éditée par le tout jeune label Buena Vista Games. Un artiste à la confluence du jeu vidéo et du cinéma, à qui l’on doit de très nombreuses musiques originales de bandes-annonces (LE MONDE DE NARNIA, WALLACE & GROMIT : LE MYSTERE DU LAPIN-GAROU, X-MEN 2, HARRY POTTER 4, etc), et qui nous confie sa vision de son art et sa passion pour un jeu pas comme les autres.
En tant que fans de Narnia, nous avons été passionnés par le jeu vidéo et sa musique.
Mark Griskey) Je suis tout comme vous un fan de Narnia, et j'ai été à la fois ému et enthousiaste quand Disney m'a appelé pour demander de faire la musique du jeu. J'ai découvert les livres pendant mon adolescence et je les ai tout de suite adorés. J'aime ce côté obscur que l'on retrouve également dans Le Seigneur des Anneaux. Aujourd'hui, ma fille a l'âge idéal pour les apprécier et je les redécouvre en les partageant avec elle. De plus, j'ai vraiment apprécié que Disney en ait fait un film, d'autant plus qu'il respecte vraiment l'histoire originale, sans plonger dans les clichés hollywoodiens.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous spécialiser dans la musique de jeux vidéo?
J'ai une formation de percussionniste, que j’ai reçue à la California State University. J'ai fait du classique, du jazz, mais également de la musique latine et africaine. Je me destinais à l'origine à être interprète. Mais dans le même temps, j'ai toujours été intéressé par la composition. Ma carrière de percussionniste lancée, j'ai de plus en plus été intéressé par l'écriture, et je suis donc retourné à l'école pour me perfectionner en orchestration, musique de film et direction d'orchestre. J’ai suivi des cours privés ainsi qu’à UCLA. J'avais plutôt dans l'idée de me tourner vers le cinéma et la télévision. A cette époque, il n'y avait pas vraiment de compositeur de musique de jeux vidéo. C'était plutôt des programmateurs ayant une expérience musicale qui s'en occupaient. Puis j'ai découvert MYST. Un ami me l'avait conseillé. Je l'ai acheté un vendredi soir, et j'ai trouvé le jeu si fascinant qu'au dimanche matin, je l'avais déjà fini! Ce n'était pas simplement l'histoire, mais également la musique et les sons qui m'ont séduit. C'est là que je me suis dit qu'il y avait là tout un tas d'opportunités que je devais saisir. Tandis que je composais des musiques pour des bandes annonces et des programmes télévisés, LucasArts a ouvert un poste de compositeur à plein temps. Je n'ai pas hésité et après plusieurs présentations de démos et plusieurs réunions, je l'ai obtenu. J'ai fait cela pendant presque quatre ans. Ensuite, j'ai quitté la compagnie pour travailler désormais de façon indépendante.
Qu'avez-vous souhaité exprimer à travers votre musique pour le jeu de NARNIA.
Je voulais avant tout exprimer et partager les émotions que j'ai ressenties quand j'ai lu les livres, à travers l'innocence des enfants, le merveilleux et la profondeur qui se cachent derrière tout cela. Ce combat entre le bien et le mal vu à travers le regard des enfants m'a vraiment charmé. J'ai simplement voulu renouer avec ces premières émotions en musique, à travers la mélodie, l'harmonie et l'instrumentation. Le résultat est une musique très symphonique, très classique, influencé tant par la tradition romantique que par la grande musique de film.
Ce qui est intéressant, c'est que là où le jeu doit aller vite et permettre au joueur d'être actif le plus tôt possible, votre culture permet à la musique de raconter ce que le timing du jeu ne permet pas de faire : le monde de Narnia lui-même, son histoire, sa magie.
C'est exactement cela. Si les percussions et les cuivres –principalement les cors- interviennent tout naturellement dans les nombreux combats qui sont l'apanage de ce genre de jeu, les autres familles d'instruments permettent d'aller plus loin dans l'immersion dans cet univers. Les bois, et plus spécifiquement la flûte, apportent ce côté merveilleux, ce regard d'enfant dont je vous parlais, ce que l'action du jeu ne permet pas forcément de mettre en avant. Cette magie, et la dimension spirituelle liée à Aslan s'expriment quant à elles à travers les chœurs. De son côté, l'orchestre à corde classique nous situe immédiatement dans le cadre tout aussi classique d'un conte de fée.
Le monde de Narnia peint en musique, en somme. En avez-vous discuté avec l'autre peintre musical de Narnia, Harry Gregson-Williams?
Absolument. J'ai en effet eu la chance de l'avoir au téléphone. Le film sortant plus tard que le jeu, il n'en était qu'au début de l'écriture de sa partition, tandis que j'avais pour ma part presque fini. Je lui ai fait entendre quelques extraits et nous en avons discuté avec à l'esprit l'idée d'atteindre à une certaine cohérence entre nos deux partitions. Il m'a notamment suggéré de faire appel au penny whistle et à des flûtes ethniques, tout comme lui prévoyait de le faire. Et il en fut de même pour les percussions. Il est certain que, pour l'équipe de production, la situation idéale aurait été d'incorporer des thèmes du film dans le jeu, mais ils n'étaient pas encore composés. Nous avons donc chacun abordé ce travail à notre façon. Le résultat est très différent –j'adore d'ailleurs ce qu'il a fait-, mais en même temps, nos deux partitions se rejoignent dans cette peinture d'un même monde. Il faut dire que, lui aussi ayant lu et aimé les livres, nous avions un terrain d'entente tout trouvé!
Le fait que le jeu permette de passer d'un enfant à un autre à n'importe quel moment a dû compliquer votre stratégie thématique.
En effet. On peut jouer seul et changer de personnage quand on le souhaite, ou bien encore jouer à deux, chacun des deux joueurs pouvant aussi changer de personnage à tout moment. A partir de là, il était impossible de définir un thème par personnage. Je me suis donc concentré sur l'aspect visuel de chaque lieu, avec une musique propre à chaque "micro-monde" que constitue chaque niveau, avec des loops les plus longs possible, entre 2 et 3 minutes. Mais j'ai également conçu un thème pour les enfants en général et un pour Aslan. J'ai écrit le premier de telle sorte que je puisse le fragmenter en différents motifs que je puisse répartir à l'intérieur de chaque niveau, tout au long du jeu, afin d'en assurer la cohérence thématique, à chaque fois avec une orchestration différente, en fonction de l'environnement. Et pour ce qui est des méchants, le thème de la Sorcière Blanche s'étend aux forces du Mal en général.
Aslan n'est pas très présent dans le jeu, mais vous lui donnez malgré tout une grande importance sur le plan musical.
C'est l'importance qu'il revêt dans les livres. Il est le personnage principal de Narnia. Il s'en dégage une certaine majesté, une dimension religieuse liée à ses origines chrétiennes, mais aussi une certaine tristesse, comme une ombre qui plane tout au long du récit sur ce personnage destiné au sacrifice. Musicalement, j'ai repris cela à travers l'utilisation de chœurs et de cuivres majestueux, mais le plus souvent dans le mode mineur.
Il est très appréciable d'avoir de plus en plus de musiques de jeux vidéo enregistrées par de véritables orchestres symphoniques, comme c'est le cas ici, à l'instar des films de cinéma.
Nous avons enregistré avec l'orchestre de Bratislava. Pour des raisons pratiques, j'ai dû superviser les sessions par vidéo conférence, et ce entre minuit et cinq heures du matin à cause du décalage horaire! Puis j'ai rajouté des samples de cuivres graves et de percussions ainsi qu'un overdub de flûte ethnique qu'un musicien est venu jouer dans mon studio. Ce sont les progrès techniques qui ont permis cela. Autrefois, c'était à la machine de produire sa propre musique avec ses pauvres moyens, aujourd'hui, et encore plus demain avec la sortie des nouvelles X Box et Playstation, nous en sommes au 5.1. Visuellement, on atteint aujourd'hui un réalisme ou une qualité cinématographique inégalés et seule la puissance de l'orchestre symphonique peut rivaliser avec la force des images. Pour moi, il reste encore de grandes différences entre la linéarité narrative que propose le cinéma et l'interactivité du jeu vidéo. Du point de la capacité de la musique à raconter des histoires, cela demande des approches différentes. Cependant, en termes d'immersion dans un monde et de relation image/musique, les liens entre les deux n'ont jamais été aussi étroits, et l’écart se réduit de plus en plus. Et cela sans compter l’implication grandissante des réalisateurs des films dans la production de ces jeux et l’intégration de certains jeux à l’intérieur d’une saga cinématographique. C’est vraiment une époque passionnante pour un compositeur de musique de jeux vidéo.
Aimeriez-vous poursuivre l'aventure avec PRINCE CASPIAN?
Sans aucun doute!